II – La conséquence d’Internet sur l’industrie musicale
a) Le marché du disque s’écroule.
Cette métamorphose de l’industrie musicale se remarque avant tout dans l’évolution des ventes de disques en magasins. En effet, après avoir été en hausse constante, on remarque qu’elles ne cessent de diminuer.
Les ventes de disques en France entre 2002 et 2006 (chiffres de disqueenfrance.com):
En France, selon l’INSEE, 171 300 000 disques on été vendus en 2002, nombre encore jamais atteint jusqu’alors.
Mais depuis cette date, c’est la chute : 20 000 000 de ventes en moins en 2003 ainsi qu’en 2004, pour atteindre 96 600 000 achats de disques en 2006. Ce qui représente une baisse de 44% en quatre ans et de 50% au cours de ces cinq dernières années.
Quelles en sont les causes ?
Cette question anime de nombreux débats: d’après Gilles Verlant, journaliste que nous avons déjà cité, « il suffit de vendre 20 000 disques en une semaine pour figurer en tête des ventes. La chanteuse Koxie a décroché la vingtième place avec seulement 3 000 albums vendus en une semaine, et ce chiffre est facilement réalisable avec une bonne campagne de publicité ».
Certains dénoncent le fait que les majors du disque fonctionnent par «à-coups » en lançant des grandes campagnes de publicité pour des disques de variété de qualité très moyenne ; d’autres accusent Internet.
Son récent développement serait en relation avec le phénomène. Le téléchargement illégal de musique (appelé aussi peer to peer) semble aujourd’hui, pour des millions d’Internautes, aller de soi, et le nombre de ceux qui le pratiquent ne cesse d’augmenter.
En 2006, c’est un milliard de fichiers piratés d’œuvres musicales et audiovisuelles qui ont été téléchargés en France.
D’où l’inquiétude des majors et des grands distributeurs comme à la FNAC. Les internautes qui téléchargeraient illégalement se situeraient en grande majorité entre 18 et 35 ans mais il est difficile d’obtenir des informations fiables à ce sujet.
On peut alors comprendre la réaction de Pascal Nègre, directeur d’UNIVERSAL, qui affirme : « On n’a jamais autant consommé de musique. On ne l’a jamais si peu payée non plus ».
Le magazine Les Inrockuptibles pense également qu’« on ne vendra désormais plus de romans, mais des nouvelles que l’on pourra ensuite, si on le souhaite transformer en album par la grâce d’une agrafeuse sur MP3. L’époque est impatiente, elle consomme plus d’épisodes de séries que de films : fini, donc, l’époque des longues narrations, des albums qui racontent une histoire ».
La consommation de musique serait donc à son apogée, mais également en pleine mutation.
De nos jours un musicien gagne essentiellement sa vie grâce à l’argent perçu lors des concerts plutôt qu’aux bénéfices tirés de la vente de son disque ; car si les consommations payantes chutent, les concerts, eux, se portent à merveille.
Cependant est-ce que le marche du disque est vraiment en pleine? L'offre demeure intacte, la demande est croissante...
Selon le chanteur Jean-Louis Murat, le responsable des maux de l'industrie musicale est également le Web :" Chaque nuit, dans les hangars de la musique, la moitié du stock est volé. Imaginez la réaction de Renault face à des déliquants qui forceraient la porte quotidiennement pour dérober les voitures!"
L’accord proposé par la mission Olivennes [Oliver Olivennes est le P.-D.G. – de la FNAC ndlr], qui vient d’être signé pour punir davantage le téléchargement illégal, s’appuie essentiellement sur des mesures préventives.
Deux messages d’avertissement seraient d’abord adressés au pirate.
Suivraient, en cas de récidive, une suspension de l’abonnement durant dix ou quinze jours, puis enfin à la résiliation pure et simple de l’abonnement et l’inscription du coupable sur une liste noire des interdits d’Internet pour une durée qui pourrait être d’une année.
Il faut remarquer sans doute que ce dispositif est tout de même plus léger que ce prévoyait la loi DADVSI (droit d’auteurs et droits voisins associés) avec, pour le délit de téléchargement, des peines pouvant aller jusqu’à trois ans de prisons et 300 000 euros d’amende.
Mais cela, à l’évidence, n’a fait baisser en rien le téléchargement illégal.
Le dispositif Oliviennes, en revanche, mis en œuvre aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, aurait déjà prouvé son efficacité. :70 % des Internautes avertis une première fois cesseraient de télécharger et encore 20 % au second.
Reste que cette pratique interroge. Qui décidera de la sanction ?
Ce serait, selon le rapport, une « autorité indépendante ». Mais laquelle, pour l'instant il n'y a guère de pistes sur son identité, sa composition, ses prérogatives ...
D’autres questions techniques, se posent tout autant : comment dissocier l’abonnement à Internet des autres abonnements « en paquet » (téléphone, télé) des fournisseurs d’accès ?
Cette problématique, purement française, trouve un prolongement européen puisque Bruxelles veut créer un marché commun des contenus créatifs, dont la musique, sur Internet.
En même temps, ce dispositif que l’UFC-Que choisir? considère déjà comme « potentiellement liberticide, anti-économique et à contresens de l’histoire numérique » ne semble tenir aucun compte de certaines études révélant que les téléchargeurs sont aussi les plus grands acheteurs de CD.
De même qu’il semble confondre droits des majors et droits des artistes!
Même les Américains, d’ordinaire imaginatifs et pragmatiques, ont échoué dans cette tâche : leurs longs combats menés contre KAZAA et autres, se sont révélés inutiles.
A l’inverse, la grève des scénaristes à Hollywood est, à plus d’un titre, remarquable et il est à parier qu’elle se révèlera très utile tant il devient clair que les auteurs ne peuvent plus compter sur les institutions pré-numériques pour sauvegarder leurs droits et leur survie économique. Leur mouvement, qui dure depuis trois mois, contraint les organisateurs des Golden Globes d'annuler la cérémonie et doivent la remplacer par une simple conférence de presse.
Comme l’écrit dans lemonde.fr, Claudine Mulard : "Cette crise pourrait aussi accélérer l’incubation de nouveaux modèles économiques. Selon le Los Angeles Times du 17 décembre, des scénaristes en grève envisagent des joint-ventures - dans l’esprit de Charlie Chaplin quand il a créé United Artists en 1919 -, qui leur permettraient de contourner le monopole des studios et de diffuser leurs écrits sur l’Internet"...
Par conséquent, la question d’un téléchargement légal mais libre et permettant tout à la fois une rémunération juste des producteurs et plus encore des artistes reste entière.
Celui qui trouvera LA bonne idée, LE bon compromis, deviendra sans doute immensémment riche!
Face à ses mesures, la plupart des journaux, dont Les Inrockuptibles, restent critiques vis-à-vis de cet accord et rappellent que : « S’il faut être naïf face aux risques des technologies, il ne faut pas oublier de croire aux formidables perspectives économiques sociales et culturelles qu’elles offrent pour l’avenir. Tout une génération l’a bien compris ».
A chaque révolution technologique, le nouveau media est accusé de tuer les anciens (le DVD était par exemple accusé de signer la mort du cinéma dans les années 90...).
Après quelques années de combat, les majors semblent avoir désormais compris qu'elles ne pourraient pas contrer le téléchargement de fichiers musicaux et s'intéressent de près au marché de la musique en ligne payante.
Pour empêcher de lourdes pertes, les majors et les artistes s’adaptent eux aussi "au phénomène Internet", modifiant également leur mode de fonctionnement.